Δευτέρα 18 Μαρτίου 2024 | 23:23

À propos de l’eglise autocephale orthodoxe d’Ukraine

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ORTHODOXIA.INFO | STEPHANOS, Métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie             

Il n’est désormais un secret pour personne que le Patriarcat Œcuménique de Constantinople a finalement pris la décision d’octroyer l’autocéphalie aux chrétiens orthodoxes d’Ukraine (Synode du 20 avril 2018). Cette décision relève de sa responsabilité exclusive (canons 9, 17 et 28 du 4e Concile Œcuménique).

Cette décision a été pratiquement imposée par ce qui se passe en Ukraine depuis 30 ans. Il y a quelques mois en arrière, on dénombrait à Kiev une Église dite « canonique », sous la juridiction du Patriarcat de Moscou et deux juridictions dites « schismatiques », sous l’égide du Patriarche Philarète et du Métropolite Macaire. Ces trois Eglises, apparues sur les ruines de l’époque soviétique (1992), étaient de toute évidence destinées d’aboutir à la création d’une Eglise autocéphale. D’autant qu’il s’agit ici d’un droit dont dispose, au sein du monde orthodoxe, tout Etat indépendant dont les frontières sont reconnues par toute la Communauté internationale. Et plus encore, dans la mesure où, suite à l’agression militaire russe à l’est de l’Ukraine et à l’annexion de la Crimée (2014), c’est tout le bien commun sociétal qui était et qui est encore mis en danger. Il faudrait être aveugle ou dangereusement insensible pour ne pas reconnaître que les violences et les exactions d’hier, d’aujourd’hui et peut-être encore de demain, ne sont plus ni acceptables, ni supportables, ni justifiables. Bien plus, il ne s’agit pas ici de considérer cette crise interminable comme un simple problème d’Eglise ; à cela vient aussi s’ajouter une question de sécurité nationale.

Ihor Ostach, Ambassadeur d’Ukraine au Liban, écrit ce qui suit dans la revue « L’Orient-Le Jour » du 2 mars 2019: « Pendant longtemps, il y avait un mythe selon lequel une émergence d’une Eglise ukrainienne indépendante ne pouvait se faire sans arrangement avec le Kremlin et le patriarcat de Moscou. Mais l’histoire enseigne qu’il n’est pas nécessaire de négocier avec la Russie parce que, dans la compréhension de l’Etat russe et de l’Eglise russe, il n’y a pas d’Ukraine indépendante et celle-ci n’a jamais existé ! Dans cette situation, la Russie ne peut être mise que devant le fait accompli, comme ce fut le cas avec la proclamation de la République populaire ukrainienne en 1918, celle de l’indépendance de l’Ukraine en 1991 ou la révolution de la dignité de 2013-2014. Aujourd’hui, la création d’une Eglise ukrainienne est devenue un fait de cette nature. Un fait qui rappelle une fois de plus au monde entier que l’avenir de l’Ukraine ne se passe pas à Moscou mais à Kiev et que les Ukrainiens n’ont pas besoin de la permission de ceux pour qui ils n’existent pas ». Selon lui, l’octroi de l’autocéphalie ecclésiastique à l’Eglise orthodoxe d’Ukraine est un acte de restauration de la justice historique.

L’initiative prise par Sa Sainteté Bartholomée de mettre un terme à cette situation, où plus de vingt-deux millions de fidèles orthodoxes étaient exclus de toute communion ecclésiastique avec le reste de l’Orthodoxie, met du même coup en lumière l’incapacité ou pire, le non vouloir de l’Église orthodoxe russe d’envisager les moindres propositions ou la moindre perspective susceptibles de mettre un terme aux divisions entre les juridictions orthodoxes locales afin de résorber définitivement les schismes existants.

D’autant que le problème pastoral, commencé un siècle plutôt, ne cessait de faire de plus en plus de bruit. Mais surtout, la plupart des Ukrainiens, après l’occupation du Donbass et l’annexion de la Crimée en 2014, se rendirent compte que revendiquer l’Autocéphalie de leur Eglise devenait une nécessité pour la survie de la nation. Ni le Patriarche Cyrille ni le Métropolite Onuphre de Kiev, qui pourtant avait signé en 1991 le document de demande d’accession à l’Autocéphalie, ne prirent en compte ces cris. Ils gardèrent les yeux fermés devant les criantes réalités qui sans cesse les interpelaient de plus en plus vigoureusement.

« Dernier vestige de l’espace impérial russe, le Patriarcat de Moscou, précisent Natalka Boyko et Kathy Rousselet, ne cesse d’affirmer l’identité d’une culture slave unique, commune à la Russie, à la Biélorussie et à l’Ukraine, l’existence d’un seul peuple dans les trois pays où la religion orthodoxe, sans distinction nationale, est l’élément unificateur (1)» C’est ainsi que l’identité ukrainienne ainsi forgée par l’Eglise orthodoxe de Russie reste par conséquent fermée à toute évolution.

Les déclarations offensantes contre le Patriarcat Œcuménique de Constantinople, les propos haineux et arrogants contre la personne du Patriarche Œcuménique Bartholomée ne font que cacher ce terrible constat, à savoir que le Patriarche Cyrille, comme ses prédécesseurs, n’a pas eu le courage d’affronter les défis et les réalités nouvelles que lui posait l’Ukraine orthodoxe. Le prix à payer, à plus long terme, sera celui de son isolement et de sa marginalisation au sein de l’Orthodoxie universelle. Tant il est vrai qu’au bout du compte, les motivations désuètes de sa politique expansionniste – particulièrement agressive et contraire aux règles canoniques de l’Eglise orthodoxe – finiront par susciter, à un moment ou à un autre de l’Histoire, un climat d’incertitude et d’insécurité pour tous ceux qui se mettront à sa suite soit par pur intérêt, soit par simple opportunisme, soit encore par manque d’une authentique vision d’Eglise, fondée sur l’eucharistie et l’eschatologie. Il en est toujours ainsi : chaque fois que la seule puissance temporelle de la «dite « Sainte Russie » est mise en cause, elle ne peut se passer de faire usage de l’esprit de ce monde. Plutôt le mensonge, la tricherie et la corruption que la vérité !

En accordant l’autocéphalie à l’Eglise Orthodoxe d’Ukraine, le Patriarche Bartholomée a pris une décision censée, sage et courageuse, conformément à l’honneur qui lui est dû et qui implique responsabilités et prérogatives réelles. Le Patriarche Bartholomée ne pouvait plus garder le silence du fait que « les évènements des 30 dernières années, surtout après 2014, témoignaient clairement que les forces de l’Eglise Orthodoxe en Ukraine ne pouvaient à elles seules surmonter le problème du schisme en vue de s’unir, puisque l’obstacle à cette voie étaient les facteurs et les influences politiques externes, venant en particulier de l’Etat voisin russe ». (2)

Le résultat ne s’est pas fait attendre. Les intenses provocations et malveillances du Patriarcat de Moscou et de certains de ses comparses contre le Patriarche Bartholomée et le Patriarcat Œcuménique n’ont eu pour d’autre effet que de confirmer la primauté du siège de Constantinople sur le reste de l’Orthodoxie universelle et le droit exclusif que lui accordent les Saints Canons d’accorder et de proclamer les Autocéphalies.

Paradoxalement, c’est le Patriarcat de Moscou lui-même et plus encore le métropolite Hilarion de Volokolamsk, qui ont fourni à Constantinople tous les arguments pour que celui-ci accorde à l’Ukraine l’autocéphalie ecclésiastique.

En moins de deux ans en effet, le patriarche Cyrille et son métropolite ont commis deux fautes majeures. Leur absence au Saint et Grand Concile de Crète (2016), convaincus qu’Ils étaient qu’il n’aura pas lieu et la rupture de la communion avec l’Eglise de Constantinople. Tout cela avec l’appui d’un argumentaire vieillot, déplacé, aux accents provocateurs, si étrangers aux choses canoniques et à l’ordre ecclésiastique. C’est le drame d’une Eglise qui n’a pas connu l’expérience synodale du premier millénaire de la Chrétienté et qui croit que l’histoire de l’Orthodoxie commence à partir du moment où son primat a obtenu le titre de patriarche.

Il est vrai que lors de l’une des dernières séances préparatoires avant la convocation du Grand et Saint Concile de Crète, le Patriarche Bartholomée s’était engagé de maintenir le statut quo en Ukraine à la condition expresse que le Patriarche Cyrille sera lui aussi présent en Crète. Il est tout aussi vrai que l’octroi récent d’une autocéphalie en faveur de l’Eglise d’Ukraine par le même Patriarche Œcuménique Bartholomée peut, après coup, paraître ambigu. Mais entretemps la donne a été profondément et jusqu’à ce jour durablement remise en question pour deux raisons : la première est la guerre du Donbass et l’annexion par la force de la péninsule de Crimée (2014), initiatives qui ont bouleversé l’équilibre géopolitique en Europe, au sein de l’ancien espace soviétique, ou encore vis-à-vis de pays de l’espace Asie/Pacifique ; la seconde (redisons-le à nouveau) et la plus significative est la non participation de l’Eglise de Russie au Grand et Saint Concile de Crète (2016), délibérément programmée et décidée dans le seul et unique but qu’il soit annulé. Il ne fallait surtout pas que le Patriarche Œcuménique Bartholomée apparaisse comme étant « le Premier » parmi les primats orthodoxes et jouissant de la prérogative de convoquer un pareil événement à l’échelon mondial.

Un autre sujet qui a ici son importance pour la suite de notre propos : l’octroi en Orthodoxie des autocéphalies. Le Patriarche Bartholomée avait permis que l’on revoie les modalités d’octroi de l’autocéphalie. Après de nombreuses, très âpres et par moments peu fraternelles discussions, les représentants des Eglises locales en présence finirent par proposer la formulation suivante (3) lors des réunions préparatoires du Concile : que, pour ce qui est de l’octroi de l’autocéphalie, le Patriarche Œcuménique appose, sur le Tomos, le mot « déclare » (αποφαίνεται) après sa signature et que les autres primats apposent le mot « co-déclarent » (συναποφαίνεται) après leur signature.

Cela n’était pas du goût du métropolite Hilarion. Le mot « co-déclarent » le gênait fortement parce que le but final qu’il recherchait avec l’appui de quelques-uns de ses alliés, c’était de mettre en cause le droit canonique de proclamation des autocéphalies dont jouit le Patriarcat Œcuménique et de diminuer ainsi l’importance de sa primauté au sein du monde orthodoxe au profit du mythe de la « Troisième Rome ». Ce n’était pas la première fois que l’Eglise de Russie agissait ainsi. Dès le siècle passé, Moscou s’était arrogé le droit d’accorder anti-canoniquement des autocéphalies, qui plus est en dehors de son propre territoire juridictionnel, au point qu’il fut nécessaire d’aborder cette question lors de la Conférence pan-orthodoxe de Constantinople en 1923. Enfin, après l’échec en la matière des Conférences préparatoires du Saint et Grand Concile (1993, 2009 et 2011), au cours desquelles aucun accord ne fut trouvé à cause du blocage permanent de la délégation du Patriarcat de Moscou, les pères conciliaires furent obligés de revenir automatiquement à la pratique canonique traditionnelle. Pratique, vieille de 1350 années et plus, qui accorde cette prérogative au seul Patriarche Œcuménique de Constantinople et à son Saint Synode. Si bien qu’aucun autre Primat orthodoxe, aucun Synode relevant d’une autre Eglise autocéphale ne peuvent exercer un tel droit.

Par conséquent, chaque Tomos d’Autocéphalie, en tant qu’unique, est de facto universellement valide pour chaque Eglise orthodoxe locale dès l’instant de sa promulgation. Sous ces conditions, ne pas se plier à cette exigence est considéré comme une faute canonique grave (6e Canon du 3e Concile Œcuménique) dont la sanction prévue peut être la réduction à l’état laïc pour les membres du clergé et l’excommunication pour les laïcs. (4)

Telles furent les causes principales pour lesquelles le Patriarcat de Moscou s’est de lui-même mis hors jeu de la question ukrainienne et avec lui tous ses sympathisants et ses supporters. Parmi eux, les uns réclament maintenant à grands cris et en vain la convocation d’une synaxe ou d’un concile pan-orthodoxe pour soi-disant résoudre après coup… un problème déjà résolu ! Et aussi, ajoutent-ils, pour écarter tout risque de schisme. Les autres reprochent au Patriarche Bartholomée d’avoir réintégré dans l’Eglise « les schismatiques ukrainiens » de tous bords.

Une synaxe ou un concile, pour quoi faire et sur quelles bases canoniques?
Nous savons qu’une telle démarche n’a jamais été sollicitée ou recommandée au sein de l’Orthodoxie par la moindre Eglise autocéphale puisque cet acte ne relève historiquement et canoniquement que du seul patriarche œcuménique de Constantinople. Ne soyons pas dupes : au vu de ce qui se passe actuellement au sein de l’Eglise orthodoxe et des alliances qui se nouent et se dénouent entre ses Eglises locales au gré de leurs seuls intérêts, on est en droit de se demander autour de quels critères spirituels d’honnêteté, de droiture, par-dessus tout d’objectivité ecclésiale et de souci pastoral vont se dérouler les éventuels débats pour garantir au peuple ukrainien que justice lui sera rendue. Car c’est de cela qu’il s’agit et non pas de satisfaire les iniquités de l’un ou des uns au détriment de l’autre, l’Ukraine. Iniquités derrière lesquelles est enfouie l’intention cachée et bien connue de tous d’affaiblir en même temps l’autorité du Siège Primatial de Constantinople.

Venons-en maintenant à l’autre question, celle de la réhabilitation des évêques d’Ukraine dits « schismatiques ».

Le droit d’appel par les évêques est prévu par les Saints Canons depuis les premiers siècles (Canon 5 du 1er Concile Œcuménique, 6 du Second, 9 et 17 du 4e, 14 et 15 d’Antioche, 1 du Concile de Constantinople de 879-880…). Dans l’Eglise Orthodoxe, il a servi de tous temps non seulement pour défendre et sauvegarder la Foi des chrétiens orthodoxes mais aussi pour préserver la tradition ecclésiastique des élections et des ordinations épiscopales et enfin pour réexaminer, annuler ou confirmer les sentences condamnatoires des évêques par les tribunaux ecclésiastiques. Depuis le premier Concile Œcuménique de Nicée (325) jusqu’à nos jours, le droit de recevoir les appels de tout l’Episcopat orthodoxe et d’y répondre relève de la compétence exclusive du « Premier » au sein de l’Orthodoxie universelle, à savoir du Patriarche Œcuménique de Constantinople. C’est ce qui a permis de réhabiliter dans sa dignité épiscopale le métropolite Philarète de Kiev, déchu de son sacerdoce par une décision inique du Patriarcat de Moscou. Décision appuyée par des pressions et des faits douteux visant à obtenir sa démission de la Métropole de Kiev au profit d’un successeur russophile. Les conséquences de cette révocation furent dramatiques. Elles eurent pour effet immédiat de briser l’unité ecclésiastique non seulement au sein de la hiérarchie mais aussi au sein de tout le peuple et de la société d’Ukraine, mettant de la sorte en danger l’existence même de l’Eglise Orthodoxe locale. Rien d’étonnant donc que Philarète de Kiev se soit tourné vers le Patriarche de Constantinople pour demander justice.

Par conséquent le Patriarche Bartholomée et son Saint Synode se trouvaient dans l’obligation de prendre position. Le jugement rendu à Constantinople annula la décision de l’Eglise de Russie. Par extension, ce n’est pas seulement le métropolite Philarète qui fut rétabli dans la communion de l’Eglise mais avec lui tous les évêques, les clercs, les moines et les millions d’orthodoxes ukrainiens qui avaient rompu les liens avec le Patriarcat de Moscou pour suivre Philarète de Kiev et ne plus dépendre de l’Eglise de Russie. De là à l’Autocéphalie il ne restait plus qu’un pas.

En même temps, c’est sans surprise qu’est remontée à la surface de l’actualité la question de la validité des ordinations par des évêques jusqu’ici non reconnus canoniquement ou schismatiques et réhabilités depuis par le Patriarcat Œcuménique de Constantinople au sein de l’Eglise Orthodoxe Autocéphale d’Ukraine.

Malgré les très vives critiques adressées à ce sujet à l’encontre du Patriarcat Œcuménique par certaines Eglises (comme p.ex. celles de Serbie, de Chypre, de Pologne, d’Albanie ou encore de la part de fondamentalistes de Grèce) il est utile et impératif de rappeler que cette question n’est pas nouvelle au sein du monde orthodoxe. Au contraire, elle fut abordée et résolue maintes fois dans l’histoire de l’Eglise Orthodoxe en partant du principe de l’économie ecclésiastique. (5)

Par conséquent, les arguments de l’invalidité auxquels font référence les détracteurs des décisions du Patriarche Bartholomée de réhabiliter dans leurs droits canoniques les évêques, les clercs, les moines et les fidèles de l’Ukraine ne se fondent sur aucun argument valable, ainsi qu’il est clairement démontré par tous les témoignages qui parcourent la très longue histoire synodale et épiscopale de l’Eglise orthodoxe. Une histoire au cours de laquelle on constate de nombreux cas d’évêques destitués qui furent réhabilités dans leur fonction et réinstallés sur leur siège au nom de l’économie ecclésiastique dont jouit l’Eglise en toutes circonstances.

« Mets un terme aux schismes des Eglises. Etouffe le grondement des nations arrogantes. Par la puissance de ton Esprit Saint, hâte-toi de mettre un terme aux révoltes des hérésies », nous fait dire Saint Basile le Grand à la fin de la récitation de l’anaphore de sa Divine Liturgie.

La stratégie de Staline de programmer en Ukraine les famines de 1918-1922 (environ 5.000.000 de victimes) et surtout celle de 1932-1933 (environ 6.000.000 de victimes) est restée à jamais gravée dans la mémoire du peuple ukrainien. Elle eut pour conséquence de renforcer son identité et sa conscience nationales. Après la chute de l’Union soviétique s’y ajouta aussi une crise au sein de son Eglise. Tout comme la Nation, Elle revendiquait elle aussi son droit à se libérer de la tutelle de Moscou.

De 1991, année de l’indépendance de l’Ukraine, à 2018 le Patriarche Bartholomée s’efforça inlassablement de convaincre les Patriarches de Moscou de l’époque post-soviétique de prendre les initiatives qui s’imposaient pour mettre un terme au schisme ecclésiastique qui divisait le Pays. En vain.

Cette même année 2018 le Patriarche Bartholomée invita par lettre le métropolite Onuphre de Kiev (Patriarcat de Moscou) non seulement « au synode de la hiérarchie de l’Eglise d’Ukraine » en vue de l’octroi de l’autocéphalie ecclésiastique mais aussi lui garantissait la présidence de cette future entité ecclésiastique d’Ukraine s’il venait à y présenter sa candidature. Le train de l’Histoire passa, mais le métropolite Onuphre resta cloué sur le quai, victime sans doute d’un héritage trop récent duquel il ne peut s’en défaire.

Le Patriarche Bartholomée ne pouvait plus tergiverser. Il lui fallait à tout prix et le plus tôt possible mettre un terme au schisme. Telle est la priorité de sa mission en faveur de l’unité de toutes les Eglises Orthodoxes. Telle est la grandeur sacrificielle du Patriarche Œcuménique de Constantinople que les autres ne peuvent ni comprendre ni égaler.

L’Eglise du Christ n’est pas une annexe de l’ONU qui fonctionne pastoralement à coups « de vetos » et de discours à n’en pas finir ; que les Eglises locales deviennent indécentes chaque fois qu’elles pratiquent la langue de bois pour mieux masquer leurs intérêts personnels au gré des circonstances ou des intérêts de toutes sortes, soumis aux influences directes des puissances de tous bords que génère ce monde. L’Eglise existe pour le salut du monde et le Christ nous enseigne que lorsqu’une brebis s’est égarée, le Bon Berger laisse son troupeau pour partir à sa recherche et la ramener saine et sauve à la bergerie. « Quand une Eglise est en situation de schisme depuis plus de trente ans, il est de notre devoir d’intervenir et non pas de s’égarer dans les méandres des discussions contestataires des uns et des autres. La question qui nous préoccupe ici (en l’occurrence l’autonomie de l’Ukraine) relève avant tout du spirituel et non du juridictionnel. Nous sommes les uns et les autres des Frères et il n’est pas bon que nous nous comportions en ennemis » (6).

A cela vient s’ajouter une autre question, morale cette fois-ci : quelles sont les Eglises qui prendront le risque de se dresser contre Constantinople sans se voiler la face, alors que (exception faite d’Alexandrie, d’Antioche, de Jérusalem et de Chypre), toutes lui sont redevables de leur propre autocéphalie, le plus souvent obtenue sous la pression ou à la demande du pouvoir politique en place ? Pourquoi la Russie, la Serbie, la Roumanie, la Bulgarie, la Géorgie, la Grèce, la Pologne, l’Albanie, la Tchéquie-Slovaquie et non pas l’Ukraine ? En quoi serait différente et non-canonique l’autocéphalie de l’Ukraine de la leur, accordée qui plus est à toutes ces Eglises sans exception par le seul et unique Patriarcat Œcuménique de Constantinople ?

Eviter le schisme, tel est désormais l’un des maîtres mots majeurs, l’autre étant celui, déjà cité plus haut, de la réhabilitation canonique des évêques déchus par Moscou.

Mais schisme il y a déjà. Et comme le dit sans ambages Saint Jean Chrysostome dans son commentaire sur la lettre aux Ephésiens XI (PG 62 :87) : « il n’y a rien qui puisse attiser autant la colère de Dieu qu’un schisme dans l’Eglise ». La décision du Patriarche Cyrille de Moscou et de son Saint Synode de rompre la communion avec le Patriarche Bartholomée m’a beaucoup étonné mais pas du tout surpris. Si je la compare avec ce qui s’est passé en Estonie en 1996, elle est plus qu’affligeante. Finalement, pour résoudre la crise estonienne, l’on se mit d’accord à Zurich au cours de cette même année en proposant une solution qui, dans un futur plus ou moins proche, aurait pu préparer un avenir ecclésiologique commun, conforme aux saints canons, entre les deux juridictions locales (Constantinople et Moscou). Mais comme pour l’Ukraine, l’Eglise de Russie n’en veut pas. Plus de vingt ans sont déjà passés. Il s’avère que cet accord est maintenant devenu caduc parce que, dès lors qu’il lui faut revenir sur les dérives de son comportement anti-canonique et les excès de ses prétentions géopolitiques, le Patriarcat de Moscou refuse obstinément de l’appliquer, selon cet adage bien connu qui lui est monnaie courante : « je signe d’abord, je fais ce que je veux ensuite » !

En rejetant sans cesse la primauté au sein de l’Orthodoxie dont jouit le Patriarche Bartholomée en tant que « Protos (Premier) », en refusant au tout dernier moment de se rendre au Grand et Saint Concile de Crète malgré toutes les promesses et par-dessus tout en décidant de rompre unilatéralement la communion avec le Patriarche Bartholomée, le Patriarche Cyrille se place de facto en situation de schisme. C’est bien ce qui arrive toujours lorsque l’on met en cause le rôle du Patriarcat Œcuménique tel qu’il a été fixé par les divers Conciles Œcuméniques. Sans le respect de ces décisions et de la tradition qui les a mises en pratique au cours des siècles aucune solution n’est possible quand il y a problème. Comment le Patriarche Cyrille, un homme aussi intelligent et jouissant d’une longue expérience dans les choses ecclésiastiques, ne voit-il pas ou ne comprend-il pas cette évidence, à savoir que l’Eglise Orthodoxe est un seul et unique corps et non pas une suite de corps indépendants les uns des autres ? Le système synodal exige de par sa nature et son fonctionnement d’avoir un « premier » qui puisse agir, coordonner et prendre des initiatives pour le bien commun de toute l’Eglise, sans quoi on aboutit purement et simplement à un système « confédéral », similaire à celui des Eglises protestantes.

Par respect pour sa personne et pour sa fonction, je ne veux pas polémiquer avec le Patriarche Cyrille. Mais enfin est-il vraiment conscient qu’on ne peut jamais négocier l’inestimable, en l’occurrence la communion eucharistique, au risque de morceler l’Église du Christ et que c’est chaque Église et toutes ensembles qui forment l’Église une ? Rompre la communion avec le Patriarche Œcuménique de Constantinople (dont l’autorité a été fondée et confirmée par les canons des Conciles Œcuméniques : 3e du second concile œcuménique, 28e du quatrième concile œcuménique, 36e du Concile in Trullo) c’est rompre avec l’Église orthodoxe une. J’ajoute encore que la tradition canonique n’offre pas d’autre alternative que celle de la rigueur (acribie) en matière d’ecclésiologie, même si de nos jours elle est sans cesse bafouée. Il incombe par conséquent au Patriarche Œcuménique de Constantinople, en tant que gardien de cette acribie, de la protéger et de veiller à sa juste application, seul remède pour neutraliser le cancer de « la Troisième Rome ». Cette maladie, transmise par l’Eglise de Russie, fut condamnée sans équivoque par les conciles de Moscou (1666-1667). Son virus a ressurgi avec une vigueur nouvelle au cours de ces dernières décennies. Il déstabilise, déstructure, ronge petit à petit de l’intérieur toute l’Orthodoxie et sape son bien le plus précieux : son unité en un seul Corps du Christ, tous ses membres réunis à l’eucharistie autour de l’unique et commun Calice.

Il y a pire. Personne n’ignore que l’ecclésiologie orthodoxe est une ecclésiologie de communion. L’eucharistie constitue le cœur de l’Eglise, son centre inséparablement pascal et ultime. Personne n’ignore non plus que c’est autour du Patriarcat Œcuménique de Constantinople que « se tiennent unie toutes les Eglises orthodoxes répandues de par le monde et que c’est par leur accord en ce centre que ces Eglises constituent un corps unique et indivisible… que c’est elle, l’Eglise de Constantinople, qui exprime et c’est en elle que se manifeste l’unité des Eglises locales dans le corps de l’Eglise orthodoxe…(7) » Mais cela ne convient pas au métropolite Hilarion qui ne cesse de prôner une nouvelle ecclésiologie égalisatrice et à la limite de l’hérésie où l’Eglise Orthodoxe ne serait ni plus ni moins qu’une simple « Fédération d’Eglises » au sein de laquelle il n’y aurait de place que pour une primauté uniquement d’honneur sans aucune prérogative.(8)

De jure la Rus’ de Kiev s’est trouvée dans la juridiction ecclésiale du Patriarcat Œcuménique de Constantinople après le baptême du prince de Kiev Vladimir en 988.

En 1037, le patriarche Alexis le Studite inscrivit Kiev dans les registres du Patriarcat Œcuménique sous le numéro 61 avec 12 évêques à l’Est et 7 à l’Ouest.

En 1302, le patriarche de Constantinople Jean XII (1294-1304) créa la Métropole de « toute la Russie » avec siège à Moscou au sein des limites géographiques de la Métropole de Kiev. Son métropolite est consacré à Constantinople.

Le patriarche Niphon 1er (1311-1315) fut pour sa part contraint, à cause des tensions politiques et des guerres, de transférer la Métropole de Kiev d’abord à Vladimir puis à Moscou.

En 1416 le Concile des 9 évêques de Novgorod décida la division administrative des Métropoles de Kiev et de Moscou et neuf ans après la chute de Constantinople, on supprima de la Métropole de Kiev le titre « de toutes les Russies » au profit de la Métropole de Moscou (1462). Au cours de cette même année le patriarche Gennadios II Scholarios consacra le nouveau métropolite de Kiev Grégoire avec le titre d’Exarque du Patriarche Œcuménique.

En 1589, le patriarche Jérémie II éleva l’Eglise de Russie au rang de Patriarcat à la suite des contraintes et des pressions physiques que lui fit subir le Tsar. Il installa Job comme premier patriarche de Moscou. Au cours de la même année il se rendit à Kiev où il posa plusieurs actes ecclésiastiques. Il fit ainsi la démonstration que la métropole de Kiev n’était en aucun cas intégrée dans la juridiction du nouveau patriarcat de Russie mais continuait à demeurer dans celle de Constantinople. Il organisa aussi le Synode local qui déclara « le Patriarche de Constantinople comme étant la tête de l’Eglise en Ukraine et que de ce fait tous lui devaient obéissance »…

En 1590 était signé le Tomos d’autocéphalie de l’Eglise de Russie, dans lequel on lit que le Primat de l’Eglise de Russie « est désormais honoré et reçu parmi nous les Patriarches ; il est est placé au rang d’honneur qui suit celui de Jérusalem et, tout comme les autres Patriarches, il a pour tête et principe le Trône Apostolique de la ville de Constantinople »…Mais en 1593 le patriarche Jérémie réunit les membres de son Saint Synode à l’Eglise de la Vierge (Vlach-Seraï) parce que le Tsar et le Patriarche de Moscou exigeaient de lui qu’il change le rang d’honneur des Eglises patriarcales, tel que fixé par le 4e Concile Œcuménique, pour que celui de Moscou passe du 5e au 3e rang, avant Antioche et Jérusalem. Le Saint Synode rejeta les exigences de Moscou et fixa les frontières de son territoire ecclésiastique, qui s’alignaient sur celles de la Moscovie de 1589 et auxquelles lui furent ajoutées les terres du Grand Nord (« τα Υπερβόρεια Μέρη »), autrement dit l’Oural et la Sibérie. On ne trouve nulle part mentionnés dans ce Tomos la Pologne, la Finlande et les Pays Baltes puisque ces Pays ne se trouvent pas dans les contrées situées dans la région de la Moscovie et dans celle aussi de ce Grand Nord.

Accuser aujourd’hui le Patriarche Bartholomée d’avoir fait intrusion dans le territoire canonique de l’Eglise de Russie pour accorder à l’Ukraine l’autocéphalie est un très grave, un très grossier mensonge, une sorte de « lavage de cerveau » savamment orchestré non seulement par des évêques, des prêtres et des laïcs russes, mais aussi par des membres d’autres Eglises locales orthodoxes fidèles ou proches de Moscou. Ce mensonge vise bien évidemment à couvrir les actes non-canoniques des occupations temporaires ou des annexions – par les armées des Tsars, par celles des blindés soviétiques ou encore par les armées russes actuelles – de nombreux Pays d’Europe n’ayant jamais été dépendants de la juridiction de Moscou, depuis le XVIIe siècle jusqu’à aujourd’hui. Tels sont par exemple les cas de la Géorgie (1811), de la Moldavie (1812 et 1944 jusqu’à nos jours), de la Pologne (jusqu’à son élévation à l’autocéphalie en 1924) ; à partir du 20ème siècle, pour quelques cinquante années, de la Hongrie et des Terres tchèques et slovaques, des Pays Baltes (18ème siècle et suivant jusqu’en 1991) et enfin plus récemment de l’Abkhazie (1992), de l’Ossétie( 2008), de la Crimée (2014)…

L’Eglise de Russie traverse de nos jours une grande crise, cela n’est un secret pour personne. Le vrai problème est que ses dirigeants orientent leur propos vers ce qui se passe exclusivement ici et maintenant, sans que personne parmi eux ne veuille s’intéresser à ses véritables causes.

Si j’ai bien compris l’analyse de l’historien grec Agathangelos Guiourtzidis, la crise qui secoue présentement l’Eglise de Russie puise sa source dans deux évènements du 20e siècle. Le premier est la chute de l’Empire russe, dont la responsabilité revient à l’élite de l’aristocratie. C’est elle qui porte le poids de l’abolition de la monarchie (février 1917). D’une monarchie qui était la pierre d’angle de l’Etat…Le second est l’écroulement de l’URSS, dont la principale initiative incombe à l’élite politique du pays. Mais pour la Hiérarchie ecclésiastique, qui interprète différemment ces périodes de son histoire nationale, la racine du problème est totalement autre ; elle se comprend comme étant la « guerre de tous les autres contre l’Orthodoxie ». Le problème donc c’est l’ennemi qui vient de l’extérieur. Un ennemi contre lequel la Russie orthodoxe doit se défendre. Le paradoxe est que cette Hiérarchie ne se rend pas compte que cette crise ecclésiale est par-dessus toutes choses la conséquence de son propre fait, aussi bien sur le plan national qu’international. Un exemple pour illustrer mon propos : l’Ukraine ! Alors qu’au cours des siècles passés l’Eglise de Russie n’a eu de cesse de se faire l’avocat chaleureux du droit de chaque peuple orthodoxe à disposer de son autocéphalie (ce qui, entre autres, fut le cas pour les Eglises de Bulgarie de Roumanie et de Serbie, allant jusqu’à s’opposer à ce que le Patriarche Sophronios de Constantinople convoque un Concile pan-orthodoxe pour mettre un terme au schisme bulgare), face à l’Ukraine, cette même Eglise de Russie définit comme « anti-canonique » ce même droit et réclame à grands cris un Concile des Eglises Orthodoxes, sans doute pour faire pression jusqu’à obtenir son annulation… Dans son aveuglement le Patriarcat de Moscou récolte maintenant ce qu’il a semé. Mais quoiqu’il arrive, Il devra tôt ou tard se soumettre à l’évidence des vraies réalités s’Il veut que l’unité du monde orthodoxe soit sincèrement préservée. S’installer dans le schisme signifiera pour la Russie qu’elle devra subir durablement l’influence d’un courant néo-chrétien puissamment conservateur et outrageusement nationaliste. ..(9).

« Seigneur et Maître de ma vie ne m’abandonne pas…à l’esprit de domination et de vaines paroles…» répétons-nous à chaque office du grand carême dans la prière de Saint Ephrem. L’insistance sans cesse mise en avant de l’importance du nombre de diocèses, de paroisses et de fidèles ne peut en aucun cas servir de critère pour convaincre qu’une Eglise est véritablement grande. Pour mériter le titre de « grande », une Eglise se doit d’agir avec dignité, sincérité, respect de soi-même et des autres, sans manipulations de toutes sortes ni compromissions avec les opportunités politiques ou les puissances d’argent du moment afin que soit renforcée chaque jour un peu plus l’unité de toute l’Orthodoxie. Ce qui vient de se produire en Ukraine devrait servir de leçon au Patriarche Cyrille et aux siens s’ils ne veulent pas perdre, au fur et à mesure que le temps passe, tout crédit non seulement à l’intérieur de leur propre pays mais aussi dans tout le monde chrétien sans exception.

En 1654, le chef des Cosaques d’Ukraine Bogdan Khmelnitski signe avec le tsar Alexis Mikhaïlovitch le traité de Pereïaslav. Toute la rive gauche du Dniepr (Ukraine orientale) passa du même coup sous le protectorat de la Russie. Ce fut la conclusion d’une série d’évènements dramatiques et sanglants qui secouèrent l’Ukraine au milieu du XVIIe siècle, après le soulèvement général de 1648 contre la République des Deux Nations (Pologne et Lituanie). Cette République, créée en 1569 par l’Union de Lublin, couvrait alors une grande partie de l’Ukraine actuelle (hormis la Bucovine, la Transcarpatie, la Crimée et les régions du nord du bassin de la Mer Noire). L’accord entre ces deux nations permis à l’aristocratie polonaise de prendre durablement le contrôle de l’Etat jusqu’à ce que la résistance ukrainienne mette définitivement fin à cette suprématie par le traité de Pereïaslav déjà cité.

Quant à Khmelnitski, pour les uns il s’était simplement servi de Moscou dans sa lutte contre les Polonais, pour les autres il avait sacrifié la liberté de la nation. Toutefois, son rôle fut sans aucun doute important. Il a non seulement façonné l’avenir de l’Ukraine mais il a aussi considérablement déstabilisé l’équilibre des pouvoirs en Europe orientale. (10)

Toujours est-il que les autorités russes sautèrent sur l’occasion pour tenter d’imposer sous la pression le même processus d’allégeance de l’Eglise d’Ukraine à celle de la Russie. Mais le métropolite de Kiev Sylvestre, les évêques, les notables et tout le peuple des Ukrainiens firent opposition à ce projet d’unification et déclarèrent sans ambages « qu’en aucun cas il ne fallait briser l’obéissance envers le Patriarche de Constantinople. C’est à lui que, selon les Saints Canons, ils étaient rattachés de droit divin et aussi par leur baptême ».

Il en fut de même pour le successeur de Sylvestre Denys qui s’opposa à ce que le Patriarche de Moscou Nikon procède à son ordination épiscopale pour le siège métropolitain de Kiev. Finalement Nikon se plia aux arguments canoniques de Denys. Bien plus, il intervint auprès du gouvernement de Moscou pour qu’il respecte les privilèges du siège métropolitain de Kiev, auquel il fit parvenir de nombreux et très précieux cadeaux.

Vint ensuite Gédéon. Son élection au siège métropolitain de Kiev fut obtenue grâce à un plan soigneusement préparé par le pouvoir politique de Russie dans le seul but de le pousser à rompre tout lien canonique avec le Patriarcat de Constantinople. Ce que fit le Patriarche russe Joachin en l’élisant et en le faisant évêque-métropolitain de Kiev à Moscou même (1674-1690), sans que le Patriarche Œcuménique n’en soit informé. Mais de retour à Kiev il fut contraint d’affronter la violente opposition et le refus des autres évêques ukrainiens. Qui plus est : un Synode fut convoqué sur place au cours duquel furent proclamées nulles l’élection et l’ordination de Gédéon, obtenues à l’insu de l’Eglise de Constantinople. Finalement il réalisa que, sans le consentement de son élection et de son ordination par le Patriarche Œcuménique, il ne serait en aucun cas reconnu canoniquement comme métropolite de Kiev. Dans son désarroi il fit appel à l’autorité tsariste pour essayer d’obtenir la bénédiction du Patriarche Denis IV afin de normaliser sa situation ecclésiastique.

A cette époque le Sultan Mehmet IV (1646-1687) se trouvait à Adrianoupolis (l’actuelle Edirne, ville limitrophe de la Bulgarie et de la Grèce). Les tsars Ivan V et Pierre 1er (1682-1696) confièrent à leur ambassadeur Nikita Alexiev la mission de le rencontrer, d’autant que le Patriarche de Constantinople Denys IV s’y trouvait là aussi (1686-)1687) et avec lui Dosithée II de Jérusalem.

Nikita Alexiev pris d’abord contact avec le Patriarche de Jérusalem pour lui exposer le cas de Gédéon. Celui-ci fut outré d’apprendre par quels subterfuges son homologue de Moscou s’était arrangé pour absorber dans sa juridiction le siège de Kiev et fit savoir que jamais il ne deviendrait le complice de ceux qui tenteraient de l’associer à la reconnaissance de cet acte désordonné. Bien plus, il s’empressa de recommander au Patriarche Denys d’en faire autant.

Après cet échec, le Kremlin ordonna à Nikita Alexiev de se rendre auprès du Vizir de Bosnie Sari Süleyman Pacha (1685-1687) pour tenter de trouver une solution à travers lui. Désireux d’éviter que les Tsars russes ne s’insurgent contre le Sultan, le Viriz exigea ni plus ni moins du Patriarche de Constantinople qu’il satisfasse sans contradiction aucune la demande des Russes.

La seule concession faite alors par le Patriarche Œcuménique Denis IV fut de permettre au patriarche de Moscou d’ordonner le métropolite de Kiev à la condition expresse que seul le Patriarche Œcuménique de Constantinople sera commémoré lors de chaque célébration liturgique. Le document attestant cela existe. Il a été récemment retrouvé dans sa version originale en grec à Paris (in « Lettre du Patriarche Denis IV à l’adresse des Tsars de Russie Jean et Pierre et de Sophie Alexiogievitch » – Moscou 1826). Encore une fois, il confirme mot pour mot que cette action anti-canonique de la part de l’Église russe n’a jamais reçu l’aval du Patriarcat Œcuménique jusqu’à ce jour, que Constantinople n’a jamais reconnu cette forfaiture visant à valider, en 1686, l’annexion de la métropole de Kiev par le synode de l’Église russe après l’invasion par l’empire russe des terres sur la rive gauche du Dniepr. (11)

Tout récemment le Patriarche Bartholomée, lors d’une interview avec le journaliste serbe Zivojin Rakocevic du journal « Politika », profita de l’occasion pour rappeler que la non reconnaissance de l’absorption illégitime, il y a 300 ans, de l’Eglise de Kiev par l’Eglise de Russie n’avait rien perdu de sa force. Selon le Droit Canon (et aussi le Corpus du Droit justinien dit Pandektos), «tout acte d’Eglise qui a été dès son départ établi avec malveillance ne peut en aucun cas être ni confirmé ni reconnu dans et malgré le déroulement du temps qui passe». Il est intéressant de signaler ici que l’on trouve dans le Tomos d’Autocéphalie de l’Eglise de Pologne (1924) des références sur la Métropole de Kiev où il est dit que cette démarche forcée par l’Eglise de Moscou en sa défaveur ne s’est pas faite selon les dispositions prévues par les Saints Canons.(12)

Cette soif de s’approprier le bien d’autrui coûte que coûte, cette tendance à la mégalomanie expansionniste de l’Eglise de Russie, le plus souvent par le truchement de la mainmise politique ou militaire des nations et des peuples, n’ont jamais cessé de lui servir de leitmotiv, aussi bien du temps des tsars que de celui du régime soviétique et même encore de nos jours. De nombreux exemples échelonnent son histoire, dénaturant par là même toutes ses bonnes et même généreuses intentions. Tel fut par exemple le cas de la Pologne après le démembrement de son Royaume en 1822 ; tel aussi celui du Pont en 1915 où, sous le couvert des Forces de l’Entente (dissoutes en 1917 à cause de la chute de l’Empire tsariste), la Russie s’apprêtait à occuper ses régions pour se rapprocher d’avantage de Constantinople dans l’intention évidente de placer sous son contrôle au moment venu le Trône Œcuménique ; tel encore celui de la Tchéquie en 1946, lorsque l’Archevêque de Prague Sabbazd dût faire appel à la protection du Patriarche Œcuménique de Constantinople Maxime V (1897-1972) pour contrecarrer les velléités et les pressions d’Alexis 1er de Moscou. « Il est impossible jusqu’à la fin des temps que l’on bénisse la tromperie fabriquée en 1686 parce qu’il est tout-à-fait incompréhensible que la suppression par la force du Droit soit considérée comme un acte canonique et qu’il se reproduise», fut la réponse du Patriarche à l’Archevêque (13).

La question ukrainienne a été le détonateur qui a révélé l’état des lieux véritable de l’Orthodoxie au XXIe siècle. Une Orthodoxie malade de sa spiritualité autant que de son ecclésiologie. Une Orthodoxie qui a déraillé de l’enseignement et des valeurs de sa Théologie, de sa Tradition patristique et canonique, de sa Pastorale. Comment du reste pourrait-il en être autrement alors que les rencontres et les échanges panorthodoxes reposent d’avantage sur des prétentions nationalistes, sur des exigences et des stratégies à visées personnelles et la plupart du temps contraires à l’intérêt général, sur des compromis et des marchandages, comme s’il suffisait de dire pour convaincre le monde que les Eglises Orthodoxes sont unies entre elles puisque les décisions concernant leurs engagements communs sont prises « à l’unanimité ».

Que des Eglises se soient abstenues au dernier moment de venir au Saint et Grand Concile de Crète montre à quel point se situent l’inconséquence et la fragilité de ces accords ainsi que l’attitude irresponsable et dédaigneuse envers les autres Primats. Un Concile ne se réunit pas uniquement pour clamer des « unanimités ». Un Concile se réunit aussi pour aborder les désaccords au sein de l’Eglise et les résoudre dans la charité réciproque au nom de Jésus-Christ par la seule puissance de son Esprit Saint.

Il était temps de mettre un terme à ce climat délétère, mensonger et trompeur. En accordant l’Autocéphalie à l’Eglise Orthodoxe d’Ukraine, comme c’était son droit absolu, le Patriarche Bartholomée a posé devant la conscience orthodoxe universelle un double geste prophétique. Le premier pour remettre les Orthodoxes de tous bords sur le bon rail en leur rappelant l’exigence de la rigueur ecclésiastique selon la Tradition théologique, patristique et canonique de l’Eglise ; le second en restaurant la dignité et l’honneur de tout un peuple, le peuple ukrainien, par un acte d’amour et de pardon authentiques, qui sera productif sur le long terme. Et ce tout particulièrement, parce que l’Ukraine « est la fille directe de l’Eglise de Constantinople, le fruit vivant de son action missionnaire et un lieu de réconciliation future avec l’Eglise de Moscou », ainsi que l’a si justement souligné l’historien français Antoine Arjakovsky, attaché de coopération à Kiev. (14)

Tallinn, le 15 avril 2019.

+ STEPHANOS, Métropolite de Tallinn et de toute l’Estonie.

Notes bibliographiques :

: in « Le Courrier des Pays de l’Est » – n° 1045, 2004/5
(2) : Archevêque Job (Getcha) : « L’Ukraine a toujours été le territoire canonique du Patriarcat œcuménique », interview réalisé par Ihor Myrevsky in ORTHODOXIE.com, Paris 20/09/2018. Voir aussi : a) Vlassios Phidas : « L’acte synodal du Patriarcat Œcuménique (1686) », en grec in ORTHODOXIA INFO, Athènes – 28/02/2019 ; b) Archiprêtre Georges Tsetsis : « Intrusion et territoires canoniques. Questionnements et commentaires concernant l’Autocéphalie ukrainienne », en grec, in ORTHODOXIA INFO, Athènes – 21/02/2019.
(3) : Archevêque Job (Getcha) : « Les raisons de proclamer ou de restaurer l’autocéphalie aux XXe et XXIe siècles » in ORTHODOXIE.com, Paris- 28/02/2019. Voir aussi : a) Métropolite de Nafpaktos Hierotheos : « La discussion autour de la proclamation de l’Autocéphalie d’une Eglise », en grec, in ORTHODOXIA INFO, Athènes – 28/02/2019 ; b) Christos K.Tsouvalakis : « Le Patriarcat Œcuménique de Constantinople-Nouvelle Rome et l’octroi du statut d’autocéphalie à l’Eglise Orthodoxe d’Ukraine », en grec , in ORTHODOXIA INFO, Athènes- 10/04/2018 ; c) Andreas Loudaros : « Les péchés mortels de Moscou qui ont écrit le Tomos de l’Autocéphalie ukrainienne », en grec, in ORTHODOXIA INFO, Athènes – 1/03/2019.
(4) : Anastase Vavouskos : « L’octroi du statut de l’autocéphalie et la théorie du schisme selon le Patriarcat de Moscou » , en grec, in ORTHODOXIA INFO, Athènes – 28.02.2019.
(5): Notes établies par l’Evêque Makarios de Christoupolis : « Les Saints Canons de l’Eglise n’ont jamais précisé de façon catégorique s’il fallait accepter ou refuser comme valides les ordinations des évêques déposés ou excommuniés ainsi que celles des prêtres ordonnés par eux. L’histoire de l’Eglise Orthodoxe est pleine d’exemples se rapportant à ce genre de situations tout comme elle ne se prononce pas sur le fait que ces évêques soient expulsés de leurs sièges, qu’ils aient été schismatiques ou protégés par les politiques royales ».
Ainsi :
-a) Le 1er Concile Œcuménique de Nicée (325), dans son canon 8, maintien au sein du clergé ceux qui se disent « cathares ». Quant à celui qui est appelé « évêque » parmi ceux qui se disent « cathares », il n’aura plus que la dignité presbytérale à moins que l’évêque canonique du lieu ne juge bon de le laisser jouir de l’honorariat de ce titre. « Mais, ajoute ce même canon, si cela ne convient pas à l’évêque (canonique du lieu), qu’il lui ménage une place de chorévêque ou de presbytre afin que l’on puisse bien voir qu’il fait complètement partie du clergé… »
-b) Le 2nd Concile Œcuménique de Constantinople (381) dans son canon 7, reçoit les ariens, les macédoniens, les sabbatiens, les novatiens, les tétradites et les apollinaristes sans devoir les rebaptiser ou les réordonnés mais par simple chrismation.
-c) Les Actes du 3e Concile Œcuménique d’Ephèse (431), précisent, au sujet des Messaliens et des Euchites repentis, que si d’une part ils sont membres du clergé qu’ils y restent, et que si d’autre part ils sont laïcs qu’ils soient maintenus dans la communion de l’Eglise.
-d) Les Actes du 7e Concile Œcuménique de Nicée II (787) ont agit de même en faveur des Evêques Iconoclastes en les recevant sans réordination et en les maintenant dans leurs évêchés parce que « l’ordination est de Dieu » et que « les ordinations des hérétiques sont valides ».
-e) En 304, l’évêque de Lycopolis (aujourd’hui Assiout) fut l’initiateur d’un schisme interne à l’Eglise d’Egypte qui semble avoir duré jusqu’au début du Ve siècle. Les Mélitiens revendiquaient l’autonomie des Eglises de Moyenne-Egypte et de Haute-Egypte par rapport à Alexandrie. Pour finir l’Eglise les a réintégrés en son sein selon le principe de « l’économie ecclésiastique», maintenant les nombreux membres du clergé à leur poste (parmi lesquels 28 évêques).
-f) Basile le Grand, Théodore le Studite, le Patriarche Photius, Tarasse de Constantinople, Nicodème l’Hagiorite et bien d’autres expriment le même avis à propos des réordinations des Clercs.
-g) Le Concile de 1450 rejette les décisions du Concile de Florence mais valide au nom du principe de « l’économie ecclésiastique » les ordinations faites par les évêques uniates déposés.

-h) Lors de la fin du schisme de l’Eglise bulgare en 1946, l’Eglise a reconnu toutes les ordinations sans exception des schismatiques, des excommuniés et des anathématisés. Ce cas est identique à ce qui vient de se passer en Ukraine.

-i) L’Eglise de Russie a agit de même lors de la réception de la ROCOR en Amérique. Elle a accueilli les évêques et les autres membres du clergé sans réordination.

A ces notes, s’ajoutent les documents suivants dont les conclusions sont sisimilaires :
– a) Les Actes de Basile d’Aghialos, par la suite Archevêque de Smyrne, « Essai : la validité des ordinations des Clercs par un évêque schismatique », en grec, Ecole de Théologie de Halki /19 octobre 1884, édité à Smyrne en 1887.

-b) Theodore Giangos : « la non-réordination selon la conscience diachronique de l’Eglise », en grec, in ORTHODOXIA INFO, Athènes – 04/03/2019 ;

– c) Syméon Paschalides : « « Un témoignage significatif de Photius le Grand concernant la validité des ordinations de ceux qui sont excommuniés », en grec, in ORTHODOXIA INFO, Athènes – 13/03/2019.

(6) : Métropolite Meletios de Preveza in « La discussion autour de la proclamation de l’Autocéphalie d’une Eglise », loc.cit.

(7) : Olivier Clément : « Dialogues avec le Patriarche Athénagoras » – Fayard, Paris 1969, pp.535-536. ) Archiprêtre Georges Tsetsis, « Intrusion et territoires canoniques »,loc.cit.

(8) : Archiprêtre Georges Tsetsis, loc.cit.

(9) : Aganthangelos Guiourtzidis : « Le problème ecclésiastique ukrainien sous le prisme des relations de la Russie avec le Patriarcat Œcuménique », en grec, in ORTHODOXIA INFO, Athènes – 11/11/2018.

(10) : Wikipédia : « Bohdan Khmelnytsky ; b) Timour Moukhamatouline : « Ukraine. Bogdan, pourquoi as-tu cédé l’Ukraine aux Russes ? » in « Courrier International du 2014/04/11.

(11) : Archevêque Job (Getcha) : « L’Ukraine a toujours été un territoire… », loc.cit. b) Aristide Panotis : « Le trône œcuménique et l’Eglise d’Ukraine », en grec, in PHOS PHANARIOU, Athènes – 08/03/2018.

(12) : PHOS PHANANARIOU : interview accordée par le Patriarche Bartholomée au journaliste serbe, en grec Athènes – mars 2019.

(13) : Aristide Panotis : « Le trône œcuménique et l’Eglise d’Ukraine », loc.cit.

(14) : in Colloque de la KEK à Chypre (8-10 novembre 2017).

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